Un thriller amusant qui se lit en 3 minutes proposé par Dominique VEY
Dominique sort sa plume des sentiers battus pour nous amuser avec cette nouvelle.
Elle est lauréate de l’atelier d’écriture animé par l’écrivaine de romans policiers Sophie LOUBIERE
Bonne lecture !
La serviette autour du cou, Georges ouvrit la porte à Raymond, son voisin :
– Salut Georges… Je te dérange ?
– Je suis à table, je te mets une assiette ? J’ai fait mijoter des paupiettes de chez notre boucher préféré ; tu m’en diras des nouvelles !
Mais devant la mine catastrophée de Raymond, il fronça les sourcils :
– Qu’est-ce que tu as ?
– … J’ai tué ma femme.
– Encore !
Les premiers instants de stupeur passés, Georges s’inquiéta :
– Tu es sûr qu’elle est morte ?
– Ben, viens voir…
Georges dénoua sa serviette et la jeta sur une chaise dans l’entrée. Il sortit en charentaises et traversa la rue avec Raymond. Sait-on jamais, il n’était peut-être pas trop tard…
Le corps de Ginette gisait au bas des escaliers, le cou dans une position bizarre. Une paire de chaussons était renversée au milieu des marches. Aucun doute n’était permis, la femme de Raymond était bel et bien morte. Georges observa la scène d’un œil d’expert. En trente ans à la criminelle, il en avait vu des scènes de crimes, en avait analysé de sordides. Ses automatismes prirent le dessus.
– Comment ça s’est passé ?
– Je l’ai poussée de là-haut, murmura Raymond en désignant le palier d’une main molle.
– Et après, qu’est-ce que tu as fait ?
– Rien, j’ai vu qu’elle ne bougeait plus alors je l’ai enjambée et je suis tout de suite allé te prévenir.
– Tu n’as touché à rien ?
– Non.
– Bien.
Avec sa mine de chien battu, les yeux rivés au sol et les bras ballants, ce pauvre Raymond faisait pitié, planté au milieu de la pièce.
Les deux hommes avaient fait connaissance vingt ans plus tôt dans un commissariat. Raymond venait de tuer sa première femme. « Un coup de sang » avait-il expliqué. Pourtant, c’était un brave gars, un peu mou, velléitaire. Mais lorsqu’on le poussait dans ses retranchements, il pouvait avoir des réactions disproportionnées. Ce jour-là, Suzanne et lui s’étaient disputés dans la cuisine ou, plus exactement, elle l’avait injurié une fois de trop. Il avait attrapé un couteau et, sans réfléchir aux conséquences de son acte, avait poignardé son épouse à l’abdomen. Passé l’instant de sidération, Raymond s’était empressé d’appeler le commissariat pour signaler ce qu’il appelait encore « un regrettable accident ».
C’est Georges qui avait entendu Raymond pendant sa garde à vue. Ce dernier n’avait pas cherché à cacher ce qui c’était passé, mais justifiait son coup de folie, accusant sa femme de l’avoir poussé à bout. Comme si, dans l’affaire, c’était lui la victime, en quelque sorte.
Il en avait pris pour vingt ans. Prisonnier modèle, il n’en avait fait que douze. Son mariage avec Ginette, une visiteuse de prison qui l’avait séduit par son écoute bienveillante et sa compréhension des choses, avait eu lieu avant la fin de sa peine.
À sa sortie, Raymond avait eu la surprise de découvrir que l’officier de police qui l’avait auditionné habitait le pavillon juste en face de celui de sa nouvelle épouse. Au fil des mois, quelques soirées barbecue aidant, l’un et l’autre étaient devenus amis. Mais Raymond avait du mal à s’intégrer à sa nouvelle vie de couple. Il s’était imaginé un quotidien plus chaleureux, et avec le temps, Ginette n’était plus aussi à l’écoute de ses tracas existentiels. Georges, devenu confident du couple, savait qu’entre eux, tout n’était plus rose, mais de là à imaginer que Raymond remettrait le couvert…
Georges secoua la tête en soupirant.
– Tu te rends compte que tu vas en prendre pour perpète ?
– Je sais.
Georges était bouleversé : il s’y était attaché, à son Raymond. Un personnage un peu falot mais loyal et amateur de bonne chair. Il s’était mis en tête de le coacher pour qu’il reprenne une vie normale. Il l’avait même poussé sur un terrain de boules, espérant donner à son ami le goût de la compétition, la possibilité de contrôler ses émotions et de s’épanouir. Et Raymond était devenu son meilleur co-équipier. Tout allait prendre fin, hélas. C’était rageant.
– Tu n’appelles pas tes collègues ? demanda timidement Raymond.
– Non.
– Quoi, non ?
– Non.
– Mais, Georges, je suis coupable. J’ai poussé Ginette !
– Ça m’est égal. Je ne veux pas que tu retournes en prison.
Georges se redressa et pointa un index sur son ami :
– Je vais être ton alibi.
– Quoi ?
– Je t’ai invité à déjeuner parce que Ginette avait prévu de s’absenter. Et quand tu es rentré chez toi, tu l’as trouvée au bas des escaliers. Alors, tu es venu me chercher… Capito ?
Raymond ne bougeait pas une oreille. Il se contenta d’acquiescer d’un clignement des paupières.
– Bon maintenant, il va falloir mettre en place les indices qui confirmeront ton alibi. Où est-ce que ta femme range ses chaussures ?
Raymond lui indiqua le placard sous l’escalier. Georges attrapa un foulard de la victime qui pendait à une patère et le jeta sur une paire d’escarpins de huit centimètres qui lui tapait dans l’œil.
– Avec des échasses pareilles, ce sera pas étonnant qu’elle ait perdu l’équilibre, sourit- il.
Georges disposa les escarpins dans l’escalier à la place des chaussons qu’il rangea dans le placard. Il se rendit ensuite chez lui pour ajouter un autre couvert de façon à mettre en scène un repas pour deux, puis, il retourna chez son ami et composa le l8.
Enfin, prêts à servir un beau mensonge, Georges et Raymond attendirent les pompiers.
Le médecin légiste confirma les premières constatations des pompiers arrivés sur place : Ginette avait fait une chute accidentelle ayant entraîné une rupture des cervicales. La mort avait été instantanée.
Assis à la terrasse d’un café, Georges parcourait le journal avec un sourire béat ; Raymond et lui en photo, à la page des nouvelles locales. L’équipe « Georges et Raymond » venait de remporter le tournoi départemental de pétanque. Il allongea le bras vers son pastis, but à petite gorgée en repensant à toutes les péripéties, à tous les obstacles qu’il avait fallu franchir pour décrocher le Graal.
Il s’était battu pour que Raymond reste dans la course. Pas question de rater le tournoi. Leurs adversaires avaient coutume de dire : « Raymond, quand il s’y met, c’est un tueur ! ». A eux, les championnats régionaux ! Raymond n’avait qu’à bien se tenir.
Georges, tout à sa réflexion, leva les yeux de son journal. Apercevant son co-équipier accoudé au bar, soudain, il se crispa : Raymond faisait le joli cœur comme un jeune premier alors qu’une admiratrice le regardait en minaudant.
Dominique VEY
Formatrice FPA – Remise à niveau en orthographe – Expression écrite
Préparation au Certificat Voltaire